Améliorer la santé des hospitaliers
Focus prévention

Explorez les défis uniques des soignants face aux addictions et découvrez des solutions pour améliorer leur prise en charge selon Bénédicte Jullian.
Déni, crainte du jugement et besoin de confidentialité sont les trois principaux freins à la prise en charge des conduites addictives chez les soignants. C’est le constat dressé par Bénédicte Jullian, psychiatre addictologue à Toulouse, qui apporte son éclairage pour identifier les pistes d’amélioration pour la prise en soin des problématiques addictives chez les soignants.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la prise en charge des addictions chez les soignants ?
J’ai commencé à me questionner sur ce sujet après avoir observé, dans ma pratique quotidienne, que les soignants entraient très tardivement dans un parcours de soins. Et j’avais pu noter que le début du soin était le plus souvent concomitant à une complication aiguë ou une situation de crise. Je me suis demandé pourquoi ces patients-soignants arrivaient si tard dans le soin. C’est grâce à cette interrogation que j’ai découvert l’existence du DIU Soigner les Soignants auquel je me suis formée en 2017-2018.
Quels freins spécifiques aux soignants avez-vous pu identifier dans la prise en charge des addictions ?
Le principal frein, c’est la problématique de la confidentialité. Or, proposer des consultations confidentielles n’est pas si simple puisque les dossiers médicaux informatisés sont souvent partagés. Deuxième frein : le délai de prise en charge. Dans l’immense majorité des cas, les patients-soignants sont en situation de crise aiguë quand ils viennent demander de l’aide. On ne peut pas se permettre de les faire attendre. Ensuite, le déni, qu’on retrouve chez les soignants comme au sein de la population générale en addictologie, ce qui est même une particularité de cette maladie. Pendant un long moment, le patient n’a pas conscience du trouble ou ne perçoit pas le retentissement négatif. Enfin, la crainte d’être stigmatisé et jugé peuvent être très fortes. Parce qu’avoir une problématique de santé mentale, en particulier pour un professionnel de santé, reste honteux, voire culpabilisant ou stigmatisant. La peur des répercussions sur le parcours de formation ou le maintien en exercice est souvent importante.
D’autres freins relèvent aussi de la représentation du soignant : confirmez-vous ce point ?
En effet, le soignant souffrant d’une addiction peut questionner sa légitimité à soigner quelqu’un qui a le même problème que lui. C’est un sujet de réflexion essentiel qui nécessite un accompagnement à part entière sur les représentations que l’on a du soignant « tout-puissant », infaillible, qui fait passer les besoins des autres avant les siens. Autre point : il faut composer avec le fait qu’on se trouve face à des sachants. Nous devons donc nous mettre au niveau des connaissances et des compétences de la personne que l’on accompagne. Quand on va bâtir une stratégie médicamenteuse ou pharmacologique, elle va résulter d’une décision inter-individuelle, collégiale. Le patient-soignant est au cœur de son parcours de soin. Prendre en compte les besoins du patient et ses spécificités permet de moduler les propositions. Il faut composer avec son besoin de s’éloigner de son lieu de travail pour envisager une hospitalisation par exemple, proposer des créneaux de consultations adaptés aux contraintes professionnelles, s’ajuster aux freins liés au fait d’aller chercher ses médicaments dans sa pharmacie de proximité… Ce sont autant de paramètres à prendre en compte pour favoriser l’alliance thérapeutique et l’inscription du patient dans le parcours de soin.
Le parcours de Bénédicte Jullian
Bénédicte Jullian est psychiatre addictologue, a travaillé pendant dix ans dans le service d’addictologie du CHU de Toulouse. Elle est titulaire d’un Diplôme d’études supérieures complémentaires en addictologie. En 2017, elle a suivi le DIU Soigner les soignants. Elle l’a ensuite coordonné avec le Dr Guyard-Boileau, puis avec le Dr Jean Thevenot, à la tête de l’association Mots (Médecin-Organisation-Travail-Santé) de 2021 à 2024.
Nadège Audegond